samedi 3 mai 2014

Paris-Londres

L’escapade devait être de courte durée. Tel était programmé le passage de cet inconnu rencontré lors d’un trajet Paris – Londres.

Le samedi quatorze avril 2012, j’avais bouclé mes cliques et mes claques, rempli du strict minimum mon sac de voyage et sur un coup de tête, mon départ allait prendre l’allure d’ une belle échappée. Je sortais de ma routine, j’explosais le miroir qui figeait toujours l’image d’une femme raisonnée, organisée et prudente. Je savais qu’un nouveau chapitre de mon quotidien allait être bousculé telle une boule de flipper et qu’au bout de la partie, je gagnerai des nouvelles saveurs dans le mille-feuille de la  vie…

Top chrono, le train ne m’attendra pas et je courre comme une marathonienne dans les couloirs du métro parisien. Direction gare du Nord, pas de talons, des baskets pour marcher, presser le pas et courir. J’arrive sur le quai, je me précipite dans l’Eurostar,  essoufflée, la bouche pâteuse, je me pose enfin à ma place en bousculant mon voisin pas très vivace, il est
9 h00, départ 9h04 arrivée 10h39, je ferme momentanément les yeux et retrouve une respiration normale.

Bref face à face car je dois être cramoisie par cette cavalcade effrénée. Je n’aime pas qu’on me dévisage à mon insu quand je m’abandonne à la détente dans un espace où la proximité ne mets pas de distance « sociale ». Un subterfuge, je sors le magazine que j’ai pris au hasard dans le porte-journal avant de partir, la barrière est de mise mais voilà qu’il fredonne une petite musique qui me rappelle ma jeunesse et l’année de naissance de mon fils aîné. 

Il gagne des points, j’adore le morceau de l’album qu’il tente de chuchoter, j’ai dans la tête des flashs back qui remontent à la surface. Un peu fausse la tentative, même avec les écouteurs dans les oreilles !!! J’espère qu’il va s’arrêter car je ne me vois pas faire tout le voyage en la compagnie d’un chanteur du dimanche, en l’occurrence plutôt du samedi,  pour massacrer vocalement ce groupe anglais qui a bercé la fin de mes années 90.

J’ai déjà lu le magazine, pas de chance, deux heures trente à regarder  les décors longeant les rails…
« Je rends visite à ma sœur, installée depuis peu dans le quartier de Greenwich au sud de la Tamise, vous connaissez ? ».
Mince, un bavard…Après tout, je ne vais pas faire ma sauvage, sa conversation pourrait être plus inattendue que le défilement linéaire du tableau qu’offre les fenêtres du train.
«  Un peu. Je connais son parc qui a une vue extraordinaire sur la Tamise, c’est l’endroit idéal pour faire une pause entre deux visites touristiques. » Je me détends un peu, finalement sa voix et son intonation sont assez  reposantes.
«  Oui, un lieu spacieux, assez calme, qui abrite un kiosque à musique et les bruyères sont magnifiques du début de l’été jusqu’à la fin de l’automne. ».
« J’aime aussi les petits coins paisibles dans les grandes agglomérations. Vous connaissez le jardin de Bercy à Paris ? Je l’adore car on y cultive quelques pieds de vignes symboliques. Il s’y trouvait d’anciens entrepôts vinicoles. J’habite en région parisienne un joli village où il y avait un immense vignoble et ma maison a été construite sur un ancien coteau ».
« Je vis de l’autre côté de la Seine dans le treizième arrondissement depuis plus de vingt ans, je connais bien Bercy Village et ses jardins ».
Nous sommes encore en France, son téléphone sonne et là me vient un petit sourire, je plisse les yeux, cela me rappelle le jour où je me suis retrouvée dans l’ascenseur de la Tour Montparnasse où j’ai entendu exactement le même morceau « T’es si mignon.... » Renée THE MOLE le rire s’élevait, incontrôlable… encore une fois je vais éclater, craquer… Quel soulagement !!! Un rire nerveux, un mélange de ricanement et d’étouffement pour finalement ressembler à un rire de Diva.
« Je suis désolée, mais c’était plus fort que moi, c’est inattendu le choc des cultures entre RENEE THE MOLE et la MUSE anglaise ».
« Ah oui !!! Ma fille adore et je sais que c’est elle qui m’appelle quand je l’entends. C’est très bête et puérile !!! » Il pique un fard pour un quadragénaire c’est étonnant…Tiens je deviens niaise, pas bon signe, je glousse telle une oie blanche. Pfff !!! Allez arrêtes un peu d’acquiescer à ses moindres paroles, ressaisies-toi.
Je l’observe, pas d’alliance, mains bien entretenues, assez fines, à mon goût. Les mains des hommes sont primordiales, les siennes me plaisent. Lui aussi, ses attitudes, sa gestuelle, ses intonations et sa façon de parler posément, naturellement en rythme. Une petite musique douce et affirmée à la fois, en accord avec son visage pas de distorsion, pas de fausse note.

« Je suis presque partie sur un coup de tête !! Hier matin je n’avais rien prévu pour mon
 week-end et hop merci Internet, en trois clics le tour était joué. »
« Vous êtes une femme impulsive et aventureuse ! »
« Pas du tout, je suis tout le contraire mais bref, je vais devoir courir pour me trouver un hôtel ou un B & B pour ce soir…Une façon un peu « space » de visiter Londres, j’irai à la centrale de réservation, ça ira plus vite. »
« Ma sœur a justement une maison où il y a trois chambres d’hôtes je peux l’appeler et voir si une de ses chambres est libre ? »
« Pourquoi pas, c’est très aimable à vous, au fait je m’appelle Roxane et vous ? »
«  Sylvain » . Il compose le numéro, ses mains tremblent un peu.
« Calou ? C’est sylvain, tu vas bien ? Je vais être rapide. Te reste-t-il une chambre à louer pour ce soir ? Oui ! Ecoutes elle ne l’est plus, ma voisine de train Roxane serait enchantée de te la louer. Le train n’a pas de retard, nous arriverons vers 10h30 à la gare. A tout à l’heure. Moi aussi je t’embrasse. »
« En plus pas de taxi à payer, ma sœur s’est proposée de nous chercher. »
« Merci, c’est inattendue, je suis ravie, c’est mon jour de chance ! »
Mais qu’est-ce qu’il t’arrive, toi devenue si misanthrope et si sèche, la vie ne t’a pas fait de cadeau ces dernières années et tu faiblis, tu flanches sur un inconnu ??? Chez le coiffeur, tu détestes parler de la pluie et du beau temps et tu te laisses aller à des conversations anodines et creuses ? Ok, j’essaie de me montrer avenante, je n’en reviens pas de cette coïncidence, pas besoin de stresser pour l’hébergement, je vais jouer au loto, c’est cool cette chambre qui « tombe du ciel ».

Finalement, je suis restée une semaine. Sept jours où j’ai découvert Londres à travers les yeux de Sylvain, je me suis laissée guider, j’ai re-découvert l’appétit du Bonheur.

Paris - Londres , en solo, Londres-Paris en duo. C’est pas mal pour une virée où à l’aller je voyageais avec une valise « lourde » de papiers froissés.  Pour le retour ma valise était « allégée » de   lettres capitales.

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