samedi 25 mai 2013

Luna Tics

Les pompiers, la police, le SAMU…. Tous ces bruits de sirène lui martelaient la tête. Elle se sentait vidée, sans souvenir, sans idée. Physiquement, moralement elle ne touchait plus terre. Elle regarda tout autour d’elle. Apparemment, je dois être à l’hôpital. Mais pourquoi ? Quelqu’un me regarde fixement. Je le sens pénétrer mon esprit. Mais que m’arrive-t-il ? Ah mais oui… je vois deux yeux de fouine à travers la porte semi-vitrée.
Au même moment, la porte s’ouvrit. Un homme entra.

-       Bonjour Hélène. Enfin réveillée. Dit-il d’une voix suave.
-       Hélène…. Euh bonjour… Docteur ?…euh…
-       Vous avez enfin repris connaissance ! Comment vous sentez-vous ?
-       Docteur… je ne me souviens de rien…pas même de mon prénom.
-       C’est très inquiétant, en effet.
-       Que m’est-il arrivé, Docteur ?
-       Nous en reparlerons un peu plus tard, la mémoire vous reviendra bientôt. 
-       C’est impossible, j’ai besoin que vous m’expliquiez maintenant !
-       Je pense que vous n’êtes pas encore prête. Il faut dans un premier temps que vous essayiez de comprendre par vous-même ce qui vous a amené ici.
-       Je vous en supplie, je veux savoir maintenant, Docteur.
-       Puisque vous insistez Hélène…. Comment vous expliquer les choses ? Disons que vous aviez disparu de la terre pour finir dans un autre monde, celui du rêve ou de l’oubli.
-       Je ne comprends rien à rien de ce que vous dites. 
-       Vous verrez, dans quelques jours, mes paroles auront un sens pour vous.
-       Mais que m’arrive-t-il, Docteur ? Je m’inquiète. Je n’entends dans ma tête que le bruit des sirènes du SAMU, des pompiers et de la police.
-       Cesser de vous tourmenter. Vous le découvrirez bien assez vite, croyez-moi.
-       Vous parlez par énigmes. Pourrais-je au moins savoir depuis quand je suis ici ? s’emporta Hélène
-       Peu importe. L’important est de vous remettre sur pied, n’est-ce pas ? Essayez de faire un effort pour vous ressaisir. Repensez aux souvenirs qui vous sont agréables.
-       Euh… Je vais essayer. Tout ce dont je me souviens c’est de la lune. Plus exactement la demi-lune. Je me souviens d’avoir souvent levé les yeux au ciel la nuit pour regarder la demi-lune, son profil parfait m’a toujours apaisée.
-       C’est un bon début.
-       Pourrais-je la regarder ce soir docteur ? Cela pourrait m’aider à retrouver la mémoire.
-       Impossible ce soir c’est la pleine lune
-       Alors demain ou après-demain, Docteur ?
-       Impossible ce sera aussi la pleine lune.
-   A vous écouter, c’est la pleine lune tous les soirs ! C’est incroyable !
-       Oui, j’aurai des photos apaisantes à vous montrer dès demain. Vous semblez tellement pressée de tout savoir que je vais accélérer le processus avec vous.
-       Des photos ? Quelles photos ?
-       Je vous expliquerai tout dès demain si d’ici là vous n’avez pas retrouvé la mémoire. Les photos vous y aideront.
-       Des photos de quoi ?
-       Sur ce qui vous détend, la demi-lune en somme…
-       Pourquoi pas ? je veux absolument tout savoir. Docteur.
-       Je reviendrai donc demain, reposez-vous bien même si vous avez déjà beaucoup dormi. 

Il sortit de la pièce pour rejoindre Annie, sa collaboratrice. 
- Alors Alex ? La Belle aux bois dormant est enfin sortie de sa torpeur ?  lui demanda-t-elle.
Avec sa bouche en cœur soulignée d’un trait rouge éclatant, Annie se croyait irrésistible malgré la lourdeur de son corps, sa peau flasque et ridée et son teint blafard accentué par les néons du plafond.
Bon sang, pensa Alex, pourquoi ne comprend-elle pas que la magie de la séduction n’opérera jamais entre eux ? Mais elle avait, semble-t-il, un cerveau qui niait l’évidence, elle avait besoin d’un électrochoc pour comprendre. Comment lui dire de prendre enfin sa retraite et de cesser de vouloir jouer les cougars ? Ces femmes qui aiment séduire les hommes plus jeunes l’agaçaient. Elle s’approcha de lui. Dans son rôle de séduction, tout sourire et d’entrain forcé, Annie jacassait. Il détourna les yeux, agacé, et  prit les photos qu’il souhaitait montrer à Hélène plus tard. D’une voix pourtant suave, il s’adressa à Annie : « Peux-tu me préparer un café ? ». Elle s’empressa de répondre goulûment, « Bien sûr Alex, sucré ou non ».  « Comme d’habitude, très sucré. Nous irons ensemble dès demain matin voir Hélène dans sa chambre, si tu veux bien». « Ok, je suis partante. On va bien s’amuser », ajouta-t-elle.
Le lendemain, accompagné d’Annie, Alex, se dirigea vers la chambre d’Hélène. Ils s’attardèrent un court instant dans le couloir et regardaient Hélène à travers la porte semi-vitrée.
-   Elle est parfaite…  laissa échapper Alex.
-       Parfaite, parfaite… parfaitement moche !
-       Sois plus nuancée, Annie. Je dirais plutôt…horriblement belle. Elle a tout pour figurer dans le programme Luna. J’envisage de l’y intégrer.
-       De toute façon, c’était plus ou moins prévu. Autrement elle serait déjà dans la zone D, n’est-ce pas Alex.
-       Sois agréable pendant mon entrevue avec elle.
-       Facile à dire. Dès que j’ai le dos tourné, tu passes ton temps à faire le joli cœur. Tu les choisis tellement peau de vache que ça m’agace !
-       Voyons ma douce, aucune ne t’arrive à la cheville. Tu es ma préférée.
-       Et tu crois que ça me réchauffe le cœur ! Tu ne m’as jamais invitée nulle part !
-       Bon, entrons voir Hélène et ce soir je t’invite à une soirée très spéciale.
Le rouge aux joues, Annie se sentit aussitôt rajeunir. « D’accord pour l’invitation. Je vais essayer d’être attentive. Mais quel visage. Tout est à refaire ! ».
-       Si tu veux. Entrons, mais ne dis pas un mot. Compris.
-    A y réfléchir, il faudrait réduire son menton, supprimer toutes ses rides avec du botox… Réparation totale dans son cas si tu vois ce que je veux dire pour lui donner un air plus ingénu, fit remarquer Annie.
-       Je sais. Pour l’inscrire au programme, ce sera essentiel. Au fait, as-tu affûté mon bistouri ? lui demanda Alex.
-            Bien sûr, je l’ai bien aiguisé. Tu en auras besoin pour la rhinoplastie même si son nez en trompette te plaît.
-            Nez en trompette, retroussé ou aquilin, peu importe, répondit Alex.
-       C’est la première chose à remodeler, insista Annie.
-        Qu’est-ce qui te prend à être obnubilée par les nez ?
-       A force de voir le tien aussi biscornu, ça m’effraie. J’essaie du coup de tous les embellir. En tout cas, je fais ce que je peux.
-       Le mien… biscornu, tu plaisantes. Tu m’as toujours dit qu’il était plein de caractère.
-       C’était pour te faire plaisir, mais il est en vérité très vilain. Un coup de bistouri devrait l’alléger ?
-       Moqueuse ! Toi tu vas finir avec des implants mammaires.
-       Non merci, les gants de toilette ce n’est pas pour moi. J’ai vu les dégâts que tu causais.
-       Tu n’apprécies pas mon travail ?
-       Si, sur les autres, pas sur moi. Regarde mon profil !
-       Pas parfait, je le conçois. Pas comme Hélène.
-       Ta Jolie Hélène va finir en compote… Trêve de plaisanterie, et reprenons le travail sur le programme Luna. Entrons dès maintenant dans la chambre d’Hélène.
Ils pénétrèrent aussitôt dans la pièce. Hélène était somnolente.
-        Me revoici Hélène, je vous présente ma collaboratrice, Annie, s’exclama Alex.
-       Avez-vous bien dormi Hélène ? ajouta Annie.
-       J’ai fait que des cauchemars.
-       Et maintenant, comment vous sentez-vous Hélène ? lui demanda Alex.
-       Bizarre bizarre…pas bien….angoissée… l’atmosphère m’étouffe….
-       Voyons. Vous allez vous détendre grâce à Annie. Elle va vous administrer un relaxant.
-       Bonjour Hélène, je vais vous injecter un décontractant. Voilà c’est fait. Vous allez vous sentir plus détendue dans quelques instants, ajouta Annie d’une voix douce.
-       Bon…Je vais maintenant vous montrer en présence d’Annie les photos sur les demi-lunes, reprit Alex tout sourire.
-       Mais ça n’a rien de lunaire ce sont les photos d’une petite fille, s’écria Hélène.
-       Détrompez-vous Hélène. Regardez attentivement ces photos avec vos lunettes. J’étale les photos sur la table de chevet à votre droite.
-       C’est le profil de la lune que je veux voir pas celle d’une petite fille !
-       Ah oui, vous avez raison. On retrouve sur chaque photo celle d’une petite fille.
Mais il y a aussi des demi-lunes. Regardez. Voici la place Vauban à Paris qui est en demi-lune, la rue demi-lune à Montreuil, rue plutôt banale comparée aux fortifications d’Arras qu’on appelle demi-lune.
Pourquoi ces photos ? Vous vous moquez de moi ?
-       Ce ne serait pas gentil… vraiment pas du tout Hélène. N’est-ce pas Annie ?
-       Ecoutez-le, il veut vous aider, répondit Annie.
-       Je veux sortir d’ici. Amnésique ou non, je ne resterai pas plus longtemps ici, insista Hélène.
-       Calmez-vous autrement Annie devra vous administrer un sédatif.
-       Pourquoi tout ça, Docteur ? Suis-je dans une maison de fous ?
-       Vous êtes ici dans une sorte de maison de repos… lui répondit Alex.
-       Vous parlez d’une prison. Je suis en prison c’est ça. Une amnésique en prison qui ne peut même pas expier ses fautes. Une vie sans jour sans nuit sans lune….
-       Vous souhaitiez connaître la vérité sur votre problème, n’est-ce pas ?
-       Oui, mais vous m’avez l’air bien plus  malade que moi et je me demande si vous êtes vraiment médecin ?
-       Je n’ai jamais dit que j’étais médecin, répliqua abruptement Alex.
-       Vous m’avez fait croire jusqu’à maintenant que vous étiez médecin et avec votre blouse  blanche, j’y ai cru….
-       Beaucoup de fous en portent… Je vous avoue qu’ici tout le monde veut jouer au médecin. J’ai voulu peut-être y jouer avec vous.
-       Où sont les médecins ?
-       Il n’y en a peut-être pas.
-       Comment ça ?
-       Je vais tout vous avouer. Ici vous êtes dans un laboratoire.
-       Un laboratoire ?
-       Oui, répondit Alex.
-       Je confirme, ajouta Annie gaiement.
-       Je suis une souris de laboratoire, sans cervelle ? C’est ce que vous êtes en train de me dire tous les deux ?
-       Oui Hélène, je suis avant tout un scientifique acquiesça Alex.
-       Au fait...Comment connaissez-vous mon prénom ?
-       Je l’ai...peut-être… inventé. Non, c’est votre prénom, on me l’a dit.
-       Vraiment et où sont les autres souris de laboratoire ?
-        En lune de miel…. Hi hi, je plaisante. rétorqua Annie.
-       Que racontez-vous tous les deux ? Ce n’est pas drôle. N’avoir personne à qui parler excepté vous et votre collaboratrice complètement disjonctée…. Ça me rend folle.
-       Mais vous l’êtes déjà, lui répondit Alex qui, en même temps, fit comprendre à Annie d’un coup d’œil qu’elle devait se taire.
-       Vous osez, s’insurgea Hélène.
-       En tant qu’expert oui.
-       D’abord médecin, scientifique puis expert ?
-       Je suis très polyvalent. Un scientifique expert en médecine plus exactement en chirurgie plastique. Je vais vous réparer… Annie est ici pour vous amener au bloc opératoire. Pour tout vous dire, vous êtes complètement défigurée. Nous ferons notre possible pour vous redonner un visage humain.
-       Mais qu’est-ce que vous me dites ?

Puis soudain…

-       Je sens mes yeux s’alourdir. Que m’avez-vous administré ? s’époumona Hélène en regardant Annie avec des yeux révulsés.
-       Tenace, la petite. Le produit a mis 10 minutes pour agir au lieu de 5. Peu importe, on va maintenant bien rigoler, n’est-ce pas Alex ?
-       Allez, faisons vite, emmène-la au bloc. Tout y est, je crois. On rigolera là-bas, s’empressa de lui répondre Alex surexcité.

Deux jours après….
-       Bonjour Hélène. Enfin réveillée, dit  Alex d’une voix suave.
-       Vous… que m’avez-vous fait ? s’écria Hélène, regardant tour à tour Alex et Annie.
-       Je vous ai réparé. Annie va vous enlever vos bandages. Mais avant ça, je vais tout vous expliquer, lui annonça Alex.
-       Je n’ai pas confiance en vous... Je sens une douleur terrible au visage. Que m’avez-vous fait ?
-       C’est moi qui devrais me méfier de vous !. Je vais vous rafraichir la mémoire. Récemment, vous aviez fait subir à votre époux un vrai cauchemar. Avec vos sauts d’humeur, vos crises d’hystérie. Votre époux n’a jamais bronché. Vos câlins et baisers l’attendrissaient. Il en oubliait vos colères. Mais un jour, la violence en vous a tout dévasté… Votre petite fille, votre clair de lune, a encaissé tous vos états d’âme. Et ce papa qui n’a pas bougé d’un petit doigt. Il vous a laissé commettre l’irréparable. Vous êtes cette mère criminelle, à la fois douce et violente, accusa Alex.
-       Qu’insinuez-vous ? Que je suis une meurtrière ? Je ne comprends rien à votre histoire ? s’écria Hélène.
-       Une histoire ? Il était une fois une prison qui se trouvait très loin. Elle était située sur la lune. Tous les criminels se retrouvaient là-bas. Mis dans des capsules direction la Lune, ils entraient dans deux catégories différentes. Les récidivistes intégraient la zone D, c’est-à-dire « Les Déchets ». Les autres intégraient la zone du « L » correspondant au programme Luna. Vous en faites partie.
-       Arrêtez de me faire peur, Docteur.
-       Allez, Annie enlevez-lui son bandage.
-       Détendez-vous, lui dit Annie. Je vais vous le retirer.
-       Non, j’ai peur, gémit Hélène.
-       N’ayez crainte, la rassura Annie.
-       Nous vous avons rendu adorable, lui dit Alex.

Hélène se regarda et vit avec stupeur le visage d’une petite fille. Les souvenirs lui revinrent aussitôt. Sa fille Luna n’arrêtait pas de crier, c’est pour ça qu’elle avait encore perdu son sang-froid. Mais cette fois-ci le coup porté avait été trop fort.
-       Vous pleurez Hélène. C’est bon pour mon programme. Les remords c’est ce qui vous donnera faim. N’oubliez jamais vous êtes comme enfermée dans le corps de Luna. Nous avons redessiné son visage sur le vôtre pour vous le rappeler.
-       Je n’ai jamais voulu faire de mal à un enfant. Les souvenirs me reviennent peu à peu, c’est horrible….
-       Vous avez toujours été très lunatique. Parfois douce, et à d’autres moments terrifiante. Vous avez été sélectionnée pour intégrer le programme Luna et compléter ainsi ma collection de plantes humaines vivantes carnivores. Je ne me suis pas contenté de vous reconstruire le visage. J’ai introduit des tiques dans votre corps. J’ai 999 999 spécimens comme vous. Ma collection doit en comporter 1 000 0000. Vous avez donc l’honneur d’être la dernière à y entrer. Le hasard fait que votre fille portait le nom du programme. Rien de mieux pour clôturer ma collection, n’est-ce pas Hélène ? Vous allez participer à désagréger les criminels multirécidivistes de la zone « D », « Les Déchets ». Je dirai même les irréparables. Vous allez grâce aux tiques qui sont en vous sucer leur sang jusqu’à les réduire en fines particules. Celles-ci oxygèneront la lune.... Vous allez contribuer à rendre la lune viable d’ici quelques années. Vous aurez enfin accompli votre repentance.
Hélène éclata en sanglots.
-       Encore une chose. Vous ne pouvez pas voir la demi-lune. Rien est plus difficile que de regarder le profil parfait de la lune quand on y habite, n’est-ce pas Hélène ? Vous êtes chez vous ici contrairement à Annie et moi qui sommes seulement de passage sur la Lune. Avant de venir ici, nous avons subi sur terre un traitement qui nous permet de respirer pendant quelques jours l’air vicié de la lune. En tant qu’experts botaniques, nous avons créé de nouvelles espèces de plantes…des plantes humaines carnivores. Nous repartons dès ce soir. Mais pas vous évidemment. J’ai oublié de préciser qu’à chaque fois que la faim va vous tenailler, vous sucerez les criminels multirécidivistes de la zone « D ». Plus vous piquez et sucez les criminels de la zone D, plus vous allez oxygéner la lune et vous sentir mieux. Mais à chaque succion vous développerez des tics. Hélène, je veux vous faire une confidence avant de vous quitter. Je tiens à vous dire que vous êtes ma plus belle plante humaine.
-       Hélène le regardait d’un air éberlué, comme assommée par tout ça.
-       Ne vous faites pas d’illusion, intervint Annie. Depuis deux jours, vous avez amplement démarré votre mission. Vous vous êtes montrée plus vorace que les 999 999 spécimens. C’est sa manière à lui de vous souhaiter la bienvenue chez les Luna Tics !

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