mardi 28 mai 2013

Les Légendes sont uniques

La baie sous le soleil est resplendissante. Au bas. Plus loin. Le port aussi. La haie du voisin soigneusement entretenue est arpentée souvent par un guépard, un léopard ou un félin du même genre, habitué aux voisins. De l’autre côté du grillage. Haut. Parfois c’est un basset artésien. Jamais les deux ensemble. Début septembre est magnifique sur la Côte d’Azur. Surtout hébergés dans une villa de grand luxe comme dans les revues.

« Que fais tu pour tes vacances ? ». C’était parti de là. Généreuse proposition. Mon frère saxophone baryton dans un orchestre de Rythms’n’Blues avait passé le mois de juin dans cette superbe villa louée par le « Club » pour y loger ses musiciens pendant la saison. Ayant fait « l’affaire » le contrat était renouvelé au même groupe pour la terminer en beauté. Oui en musique, aussi. Immense, toute équipée, terrasse superbe, chaises longues et au moins une chambre de trop.

« Avec Josette pourrais-tu faire la cuisine pour dix personnes, une fois par jour. Copieux, sympa mais surtout au coût le plus bas possible ? ». Pour mon épouse qui réalisait comme bénévole des repas à thème pour 120 jusqu’à 150 personnes au profit de notre association, faire dîner une douzaine de jeunes musiciens, connus, était un jeu d’enfant.

Nous rentrions d’une animation saisonnière « tournée plages » juillet – août, de la pointe de la Bretagne jusqu’à la frontière belge. Aller – retour. Elle, habillée en squaw, moi en cow boy avec l’aide d’ une équipe de « promoteurs des ventes » plus un intermittent du spectacle pour jouer le rôle du grand chef « Tanka » (du feuilleton TV « Les Indiens »)… Amérindien comme on dit aujourd’hui. Tournée promotionnelle pour une grande marque, camionnettes sonorisées, tipis, jeux sur la plage ou dans des campings, échange d’emballages produits contre des gadgets. Sept jours sur sept. Un jour de « repos » pour faire le trajet de « retour à la case départ » en fin de mois. Puis rebelote.

Que faire pour nos congés de 3 semaines en septembre ?. La réponse tombait comme un vœux d’Aladin grâce à cette proposition inattendue donc miraculeuse. Et gratuite. « Le Tamaris » prestigieux lieu de dolce vitae fréquenté par toutes les vedettes. Les vraies et beaucoup de fausses, était réservé à une élite. Par la notoriété ou la fortune supposée ou celle affichée. Quelques uns certainement « à fichier ».  En soirée, arrivés en fourgonnette Ford, nous rentrions, ponctuels, par l’entrée des artistes. Une table discrète pour les musiciens, en renfoncement, à gauche de la scène. Discrète. Consommations prises au bar contre remise d’un ticket « gratuit », carnet forfaitaire remis à chacun des musiciens pour ses pauses, sur lesquels nous puisions, par complicité, avec modération. Les yeux écarquillés à identifier telle actrice emblématique de la ville et du lieu, son « boy friend » du moment, sa cour, ses satellites. Les personnalités du show biz’, de la politique et du sport. Plein les mirettes. Et plein les oreilles, juste à côté des enceintes géantes qui propulsaient le son à faire bouillir le sang, nécroser les oreilles internes et désosser les articulations des danseurs.

Vers les trois heures du matin, un DJ reprenait les commandes. C’était, alors, la course pour rejoindre un autre night club ou des « collègues musicos » faisaient leur dernier passage, on dit « set » aujourd’hui, après notre fin de show. Ensuite, tous ensemble, direction un autre établissement connu des noctambules pour « lichetrogner » le verre de la détente, de l’amitié, de la fraternité de ceux qui sont trop souvent dans la galère bien que talentueux. Faire assaut de vantardises quant à nos applaudissements que dis-je de nos triomphes respectifs de la nuit, en compagnie d’une bande de groupies séduisantes. Surtout des professionnelles qui sévissaient auprès des amateurs âgés et se rafraîchissaient auprès des jeunes musiciens à la libido libérée.
Retour à la villa en croisant les travailleurs qui allaient vaquer aux félicités des vacanciers. Chez nous, les comptes étaient faits par le batteur – chef de groupe – l’abstinent de service. Une table de poker se mettait en route. D’autres fumaient des cigarettes confectionnées à la main en contemplant la mer et le soleil levant.

Nous, nous étions couchés dès le retour, les oreilles bourdonnantes. Nauséeux. Les courses faites au supermarché local, le repas pris vers les dix huit heures. Sa qualité gustative attire la suspicion du duo apte à gérer l’intendance : « tu arrives à combien par personne, par jour, tout compris ? » demande trois jours après note arrivée le saxo - ténor. Horrifié par le montant qui ampute leur « cacheton », une cellule de crise décide d’abandonner les services de mon épouse.

Retour rodé à l’équipe des saxophones aux fourneaux qui « tambouillaient » déjà en juin. Achats conclus au préalable avec le responsable du point de vente : fruits et légumes « tachés » par un début de pourriture, viandes à date de péremption du jour ou de la veille, conserves cabossées parfois sans étiquette, bières à l’unité provenant de packs tombés du rayon, donc bouteilles collantes et parsemées d’éclats minuscules, coupants, conservées en panières métalliques en réserves. Le tout négocié âprement comme des « marchands tapis » dans l’ombre, comme disait un ami. Le reste de l’orchestre qui a resigné le contrat, rechigne à ce moment précis devant la qualité gustative du nouveau service.

Un incident : le bassiste entre dans la cuisine et voit les deux cuisiniers boire du rosé frais – premier prix en bouteille plastique. « Eh ! les gars faut pas se gêner vous buvez seuls sur notre compte commun, sans même trinquer avec les copains ! ». Réplique impériale sinon offensée du maître-queue qui officie devant la marmite fumante : « On ne boit pas, Môssieu … on goûte ! ».

Payés à la quinzaine, j’accompagne le batteur, en fin de matinée, à la comptabilité du club pour percevoir leurs émoluments. Feuilles de paie. Vérification, signature du reçu, l’enveloppe en « liquide », pliée, est glissée dans le portefeuille et le tout replacé dans la poche interne du blouson. L’heure des comptes regroupe tout le monde avide de percevoir son dû. Cahier sorti, stylo décapuchonné, la main qui s’insert dans l’échancrure du vêtement, fébrilité dans son exploration. Le trésorier jaillit debout devant sa chaise, se déshabille comme gagné par un assaut de puces voraces, secoue le blouson, fouille frénétique des autres poches « son portefeuille a disparu ».

Consternation.

« Il a du glisser pourtant j’avais cru … mais l’enveloppe qui dépassait m’a empêché de boucler la fermeture Eclaire (marque déposée) ». Un mouvement de doutes, de réflexions. Examen du fourgon, du trajet dans le parc, nous sommes une douzaine à « Sherlock Holmer » avec célérité. En vain. Un guitariste lance « et si on allait à la gendarmerie le signaler ».

Ricanements amers, plaisanteries, moqueries, quolibets accueillent cette improbable démarche. « Tu penses une enveloppe pleine de « fraîche » sur un trottoir de Saint Tropez, tout le monde la ramerait aux poulets ». Re – rires désabusés. A tout hasard. La gendarmerie est la même que celle de De Funès, Christian Marin, Grosso et Modo, Jean Lefebvre et Galabru. Ici s’arrête la comparaison du folklore cinématographique. Le planton nous accueille le regard lourd de suspicion. Avec leurs têtes de musiciens, de pâtres grecs, de plus ou moins étrangers errants, cheveux longs, pâleur de noctambules, des yeux rouges de consommateurs de produits illicites. Surtout pour les pauvres en ces lieux de « perdition » pour privilégiés. Y’à déjà présomption de délinquants qui viennent « se livrer ». Explications formulées. Quelques questions de vérification. Le gendarme s’éloigne et revient accompagné d’une gamine. Il porte l’enveloppe et le portefeuille. « Vous avez une sacrée chance, la jeune fille ici présente vient de le rapporter. On peut dire que vous êtes vernis, les gars ».

On remercie, on salue, on remercie « one more time ».

Le soleil paraît plus chaud, plus brillant, en sortant. La gamine accepte qu’on la raccompagne en sa lointaine périphérie. Maisonnette plus que modeste. Une flopé de mômes, une mère inquiète qui ne parle que le Portugais. Un généreux propose de récompenser la fillette plutôt que de laisser un gros billet. Unanimité. Mais attention pas question de sortir sans l’accord du père qui va rentrer du chantier.

Plus tard … Centre ville, boutique féminine. « Que veux-tu ? ». « Une robe ». Les musiciens qui ont des sœurs se lancent dans le choix, la taille, la qualité. Celui qui conteste le prix se fait huer. Vêtement convoité, décidé. Mais que regarde t’elle, en plus ? Un manteau. « Il te ferait plaisir ? ». Elle opine de la tête avec timidité. Affaire conclue. Joli carton cadeau avec ruban. Le groupe insiste pour en faire mettre un deuxième. Un gros chatoyant. Faut pas lésiner. En face épicerie « spécialités italiennes », vite fait un panier d’osier, un demi jambon sec, un assortiment de saucissons, quelques bouteilles de vin » et retour chez la petite.

On la laisse sur le pas de sa porte sans entrer. Bises. Coup d’avertisseur « Pon – pon » pour dire adieux et merci. Des signes par les fenêtres de portières. La cendrillon du jour, immobile qui sourit en agitant sa main, son carton serré dans les bras. Ce soir là, on a explosé notre budget rosé.

Le chanteur au cours de la soirée à dédié une chanson en l’honneur de cette jeune fille de 13 ans, bien éduquée. Applaudissements des fêtards sans n’avoir rien compris à ce conte de bienfaits dans la furia de la féria. L’un d’eux entonnant même « joyeux anniversaire » à tout hazard.

A la fin de cette deuxième semaine, inutiles désormais, nous décidons d’aller vivre, normalement, de jour et enfin profiter du soleil, ailleurs. Un vieil ami plagiste dont l’épouse possède un hôtel – pension de famille nous accueille un peu plus loin. Il préparait, plus jeunes, avec Josette des compétitions de canoë kayak au centre nautique d’Ablon sur Seine, en dessous d’Orly.

Farniente. Enfin de la tranquillité et du bronzage. Oui et le silence. La solitude feutrée. Aucune musique.

Depuis cet épisode, je tâte souvent, trop souvent, le renflement de mon portefeuille dans ma poche arrière. Un de perdu n’est pas nécessairement dix de retrouvés. Les légendes sont uniques.

LEGER Michel (Breuillet)

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