mardi 28 mai 2013

Le VRP

Au petit matin frisquet, j’arrive au magasin. Nuit noire. Le responsable de l’accueil des employées qui « mettent en rayons » et des représentants des marques référencées, qui trop souvent, les remplacent pour leurs produits, officie tel un cerbère intransigeant. En plus glacial sinon plus autoritaire. « Vos clés » réclame t’il, abrupte du fait d’une autorité déléguée inespérée, en échange d’un badge d’accès, nom, société, heure d’arrivée, notés sur un registre. Et signé par le commercial pressuré, obligé ou insomniaque. Corvéable à merci. De rien !

Un concurrent avait acheté dans une brocante une très ancienne clé de portail d’au moins 3 kilos. Le contrôleur ne pouvait pas l’accrocher au tableau. Vengeance mesquine et quolibets discrets des suivants qui mettaient l’homme préposé en fureur.  Il faut, avant l’ouverture de l’hyper marché à la clientèle, réaliser en bout de rayon nommé « tête de gondole » la présentation de la marchandise vendue à l’acheteur sous une forme attractive. Habillée d’une remise exceptionnelle sur le prix à répercuter au consommateur et d’une « prestation de service », un chèque différé pour sa mise en place, location de l’endroit pour la semaine à venir. Contrat annuel. Théoriquement.

Selon la quantité, l’heure d’arrivée sur site peut se situer aux alentours des 4 h. du matin ou à partir de 22 h. si le rayon est aussi à aménager avec des produits saisonniers ou événementiels, Pâques, Noël ou « la semaine anglaise ». Anniversaire du magasin. Festoiements de la cité. Semaine spéciale ou toute autre occasion à « Thèmes » afin d’attirer le chaland régional du plus loin possible aux alentours.

Les animaux, même rapides, n’étant pas admis sauf les moineaux entrés un jour par la grande porte qui nichent dans les infrastructures et se nourrissent des sacs percés par leurs becs acérés. Un temps même, des souris creusaient en fond de rayons et perçaient leur tunnel, toutes marques exposées, comprises. Des papillons semblables aux mites étaient de préférence dans les produits secs pour animaux de compagnie, une espèce similaire préférait le chocolat. J’ai eu l’occasion d’accompagner un expert qui les attirait avec des hormones « femelles » imprégnées dans sa pochette de soie afin d’inciter les responsables « à désinfecter » les lieux, preuves à l’appui. Pour chasser les moineaux, un directeur farfelu avait engagé un fauconnier. Hélas, ses fientes étaient plus importantes et liquides, sur les marchandises. Ses prises, elles, maigres. La solution pire que le mal.

Habillé en tenue de représentant d’une marque de notoriété, tu te dois d’être « nickel – chrome ». Costume, cravate, chaussures lustrées, les cheveux de même. Nous dédaignons ceux qui capitulent et portent une blouse. « On » a sa fierté, quand même ! Dans les années des débuts 60, un concurrent touchait « une prime d’élégance ». Sélectionné, grand, bel homme, charmeur sinon le sourire enjôleur, cajoleur, le VRP (voyageur – représentant – placier) était à l’image des vedettes hollywoodiennes de l’époque. Souvent, encore avec un feutre, pour l’élégance du geste du salut, chapeau ôté de 2 doigts avec un geste gracieux pour le porter au niveau du cœur, une légère inclinaison de la tête, cheveux gominés, pour accompagner cet acte de respect teinté de courtisanerie en saluant onctueusement la « patronne ». La boulangère fondait. Souvent. La commande « tombait ». A l’époque. L’épicière aussi y succombait. Et les autres …

L’acheteur « grandes surfaces » des années 70 ne fond plus. Même, son accueil est des plus glacial. A l’époque il faut composer un socle pour monter ta présentation. Des palettes en bois « type SNCF » ou des casiers à bouteilles 6 trous, empilés. Du papier d’habillage décoré fixé avec un auto cloueur d’agrafes pour faire « joli ». Un fronton promotionnel clinquant au dessus. Le prix attractif mis en valeur. Ensuite tu empiles tes produits suivant une technique savamment éprouvée. Ou le problème se corse, c’est quand l’emplacement loué la semaine précédente par un confrère n’a pas connu le succès escompté. La masse impressionnante d’articles, reliquat à débarrasser avant d’officier, t’appartient. Trouver des panières, des casiers, des cartons disponibles pour entasser ces stocks et les descendre au « petit bonheur la chance » dans les réserves si tu arrives à bloquer un monte charge disponible convoité par des collègues, des employées du magasin, prioritaires. C’est la lutte sinon finale tout du moins « féroce ».

Dans l’hypothèse ou le dernier occupant à bien songé à en fermer la porte ce qui le bloque au deuxième sous sol. Le temps t’es compté. Les adjoints responsables et nerveux t’houspillent. Les engins « tire palettes » indispensables aux transports quasi inexistants. Travaux forcés.
Tu t’angoisses comme un forçat sur un banc de chiourme. Les blouses blanches se vengent des « costumes – gilet – cravate – pochette » qui « rament » à leur profit. Supposé. Beaucoup sont « soupe au lait » aussi.

Ma présentation prend forme. L’acheteur alimentaire arrivé, lui, plus tard, fait sa tournée de vérification. Il m’apostrophe :
-          C’est pas ce qu’on m’avait promis lors de la prise de commande » m’assure-t’il, photocopie d’une réalisation à l’appui.
-           Mais qu’est ce que cette photo fait là ? 
Une manipulation vendeuse faite en trompe l’œil dans un magasin « ami » qui accepte nos installations promotionnelles factices « in live ». Montage – clichés – démontage. Je la connais … j’y étais. Tout en superficiel, maquillé, retouché par notre photographe officiel déplacé pour ce projet divulgué à l’ensemble des confrères de la métropole comme argumentaire. Menteur.

Je tente de faire face. A l’impossible nul n’est tenu. Mais l’acheteur est capable d’encaisser la prestation et de nous rendre la marchandise. J’ai connu d’autres situations bien plus conflictuelles sinon biscornues. A l’heure « H » moins 30 mn, ma mise en avant se présente instable mais conforme à la promesse. Ouf ! Une dernière pile et … « Vraoum ! » tout s’écroule à mes pieds. « Fatalitas » comme disait « Chéri Bibi ».

La marée en retard, il me reste le suicide, tel Vatel. Deux collègues et amis passent, leur mission terminée et compatissent à mon désespoir. Boîte à outils de promoteur – étalagiste posée, l’un prend d’autorité les affaires en main et donne ses instructions, à trois, en deux temps – trois mouvements, on redresse « l’affaire » sans trop y mettre de volume pénalisant l’équilibre. Le supplément descendu prestement et discrètement en réserves.

Sonnerie d’ouverture, appel au haut parleur « le magasin est ouvert ». Contrôle du travail accepté par le responsable non sans quelques critiques assurant son autorité. Bistrot d’en face ou j’offre le casse croûte charcuterie auvergnate, vin de pays à mes sauveurs à 9 h. du matin mais 6 heures plus tard que notre premier café. La journée continue, un représentant n’a pas d’horaires quand le « poisson mord à l’hameçon ».

Méfiez vous des photos trop tentatrices … A bon entendeur … Et n’oubliez pas d’actualiser votre reliure – argumentaire. Ce que j’ai toujours fait à l’avenir. Les photos ? Rangées au grenier, en souvenirs …

LEGER Michel (Breuillet)

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